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Cossanges

CHATURANGES et COSSANGES forment, de par leur nom, un couple : même date approximative de fondation du domaine primitif, même interprétation du mot, où le nom du propriétaire est suivi d'un suffixe féminin pluriel (terres, étant sous-entendu), même différence entre la forme française et la forme patoise ici, COUSSANGES.

Mais, sur ce point, l'évolution s'est faite en sens inverse. Tandis que CHATURANGES ne représente qu'une déformation assez récente, dans la prononciation française, d'un authentique CHATUZANGES, COSSANGES, lui, est bien la forme primitive telle qu'on la trouve encore en 1415 et que l'a reprise le cadastre de 1841. Le changement d'«o» en «ou», qui se rencontre en de nombreux mots de nos dialectes, a dû intervenir dans le courant du XVème siècle. Le terrier de 1540 ne connaît, en effet, que la forme COUSSANGES ; il en va de même des registres paroissiaux et des actes notariés du XVIIème siècle. Le nom de famille emprunté au domaine a subi, il va de soi, les mêmes avatars.

COSSANGES doit donc s'interpréter comme les (terres) de COTTUS ou de COSSUS ; l'évolution des deux noms de personne aboutissant, en fait, au même résultat. Entre eux il n'est guère possible de choisir, également attestés qu'ils sont en GAULE, à l'époque gallo-romaine. Si COTTUS se lit sur trois inscriptions, COSSUS figure sur une dizaine d'autres, notamment sur un vase découvert à ANNECY.

Cette fréquence donne à penser que notre COSSANGES ne doit pas être unique. Il ne l'est pas, en effet. Un village du même nom, mais désigné officiellement sous la forme dialectale de COUSSANGES, après avoir eu autrefois celle de COSSANGES, existe au Sud-Est de VIVEROLS, non loin du territoire d'USSON. Il fut donné en totalité, en 1050, avec les trois fermes le composant, par les seigneurs de BEAUMONT au prieuré de CHAMALLIERES ; cependant toute la partie Nord du domaine primitif en avait déjà été séparée et formait un village distinct, pourvu du nom, diminutif du précédent, de COUSSANCETTE (les couples de ce genre étant fréquents dans la région : BESSE et BESSETTE, La BREURE et la BREURETTE, TERRASSE et TERRASSETTE, SAILLANT et SAILLANTET). La Loire nous offre, à LUKIEC, un COSSANGES encore habité, et deux autres aujourd'hui détruits, dont l'un près de SAINT-RAMBERT. La HAUTE-LOIRE, pour sa part, possède deux villages du même nom (à LAVAL et à SALETTES) et un troisième disparu (à SAINT-ROMAIN-LACHALM).

Notre domaine de COTTIUS ou de COSSUS, fondé comme CHATURANGES vers la fin de l'époque gallo-romaine (IVème - Vème siècle de notre ère), est un exemple typique du domaine suburbain de ce temps, établi à proximité d'un centre ancien. L'endroit se prêtait à un établissement de ce genre, tant à cause de cette proximité que de l'abondance des eaux et de l'existence d'un grand chemin, facilitant les communications à longue distance. Ce chemin, qui offre tous les caractères des voies préhistoriques, est donné par le cadastre comme le Chemin de CRAPONNE à ST-BONNET, dénomination qui souligne son importance à date reculée.

Invitons le lecteur à braver la fatigue et à le suivre. A partir du PONTEMPEYRAT s'entend, puisqu'il est clair que de CRAPONNE au PONTEMPEYRAT il se confond avec la grande voie préhistorique reliant ces deux localités, la BOLENE. L'ANCE franchie, notre chemin de ST-BONNET se détache presque aussitôt de la BOLENE, qui, elle, va gagner directement USSON. Pour gravir l'escarpement, il emprunte, tout à la sortie du village, le premier ravin qui s'offre à lui, un ravin creusé par un petit affluent de l'ANCE que les textes anciens dénomment le RAZAT d'EPINASSOLES. Gorge sauvage et resserrée s'il en fut, ne laissant entre le cours d'eau et le pied de la montagne qu'un étroit passage en pente raide. N'importe ! Nos ancêtres avaient le coeur et les jarrets solides, et aujourd'hui encore le lecteur, s'il aime le pittoresque, ne sera pas déçu de remettre ses pas dans les leurs. Le replat apparaît enfin, et avec lui EPINASSOLLES, dont le chemin va constituer l'axe. Celui-ci continue ensuite directement sur BRANDY-HAUT, et là voit son tracé emprunté sur près de deux kilomètres par l'ancienne route. Mais il, ne gagne ni COSSANGES ni ST-PAL. A la GUELLE, dont le nom indique un petit gué sur le ruisselet issus de l'étang du BESSET, il oblique à gauche, de façon à couper de flanc la colline que domine BOST-BUISSON. Bien marqué, agréable à suivre, il s'en va croiser le chemin de ST-PAL à BOST-BUISSON et surplomber à cet endroit PONT-RENARD. Ainsi gagne t'il directement le groupe de maisons dites de l'ETANG, en longeant le lieu-dit le MOULARD et le domaine de MAISONNEUVE. Ce tracé, on le voit, lui épargne les rampes et la double traversée de CHANDIEU qu'aurait exigées son passage par ST-PAL.

De l'ETANG notre chemin tend directement à APINAC, en se confondant avec l'ancienne route, et d'APINAC non moins directement à ST-BONNET, où il pénètre après avoir longé le Mont Mil, hauteur que là forme ancienne du mot, non moins que les curieuses coutumes auxquelles elle donnait encore lieu, en plein XVIIIème siècle, désignent comme un authentique lieu sacré de rassemblement, où devaient se retrouver Ségusiaves et Vellaves. Si bien qu'on pourrait dire qu'à l'instar de tous les chemins préhistoriques, la vocation de celui-ci était de conduite, longtemps avant que ST-BONNET ne, soit devenue un centre important, à ce haut lieu.

Quoiqu'il en soit, notre chemin restait encore, au début du siècle, bien connu de tous les routiers comme le raccourci le plus direct de ST-BONNET au PONTEMPEYRAT. Les bâtiments de COSSANGES s'en trouvaient un peu à l'écart, ce qui assurait leur tranquillité. Mais il suffisait d'un faible raccord, d'à peine deux cents mètres pour, rejoindre la GUELLE. Un prolongement de ce raccord en sens inverse conduisait directement à ST-PAL. Plus tard, ce double sentier de raccord dut élargi, empierré et put porter au XVIIème siècle le nom de grand chemin allant de ST-PAL au PONTEMPERAT, l'autre restant le chemin de ST-BONNET au PONTEMPEYRAT.

Existait-il à date ancienne un pont sur CHANDIEU, en aval de celui de PONT-RENARD ? Il ne semble pas. Les ponts jadis étaient rares, et il suffisait d'un léger détour, qui en était à peine un, pour atteindre celui de PONT-RENARD, sans doute alors très différent de la simple passerelle d'aujourd'hui.

Tout changea au XVIIIème siècle, lorsque fut construite la route moderne dite du PUY à MAISONNEUVE et BOEN par CRAPONNE et ST-BONNET. De cette route qui, à la sortie du PONTEMPEYRAT devait emprunter, non plus le sentier abrupt d'EPINASSOLLES, mais le tracé majestueux de la voie romaine jusqu'au transformateur actuel et gagner de là BRANDY-HAUT, ST-PAL avait obtenu le passage par ST-PAL même. Un pont fut alors établi en aval de PONT-RENARD. Mais moins résistant, moins élevé que l'actuel, il fut emporté avec ses culées au mois d'Octobre 1846, par une crue d'une violence inouïe. Le Conseil municipal vota une subvention pour hâter sa reconstruction par l'Administration. Le nouveau pont, qualifié parfois de passerelle, était surélevé, mais fort étroit. Si bien qu'en 1876 le Conseil demandait à cor et à cri son élargissement, en remarquant que de nombreux accidents s'y étaient produits et que plusieurs vaches avaient péri "par le saut dans la rivière d'une hauteur d'au moins cinq mètres". Pauvres bêtes ! Leur sacrifice, néanmoins, ne fut pas inutile : l'Administration s'émut et dota enfin ST-PAL du pont majestueux qui fait sa fierté.

Las! Le service actif de ce nouveau pont fut de courte durée. Avec la même insistance qu'il avait mise à le demander, le Conseil municipal réclamait maintenant un nouveau tracé de la route, excluant les rampes de l'ancien. Une fois encore il eut satisfaction. Le 22 Mai 1887, il approuvait le projet de rectification par les LEVAS et le BES. Ce projet utilisait deux tronçons de chemins : l'un tendant de ST-PAL à MALBOS et à PERET, l'autre, un simple sentier, reliant BRANDY-BAS à BRANDY-HAUT. Toute rampe était pratiquement supprimée, mais c'était au prix d'un interminable et dangereux virage. On sait ce qu'il en est advenu depuis, et comment les Ponts et Chaussées ont récemment englouti des millions et saccagé des prairies pour rectifier d'inoffensifs tournants.

Mais revenons au domaine de COSSANGES. S'il ne semble pas avoir comporté, comme ceux de CHATUZOU et de CHATURANGES, de breuil proprement dit, il en avait l'équivalent, en plus sauvage. Il s'agit du lieu dit les DEVEZES, qui s'étend des deux côtés de l'ancienne route, en direction de BRANDY-HAUT, à partir de l'ancien chemin du BREYRE à BESSET-BAS. Ce terme, assez rare et qui ne se retrouve nulle part ailleurs à ST-PAL, s'applique à un terrain strictement privé, généralement boisé et accidenté, de façon à servir de réserve de chasse à son possesseur. Faut il en conclure que le propriétaire de COSSANGES était particulièrement féru de ce sport ?

A dessein nous avons employé le singulier, qui prend ici toute sa valeur. Car COSSANGES présente ce caractère fort rare d'être resté presque jusqu'à notre époque un domaine unique, sans se scinder ni en village ni même en hameau. La proximité de ST-PAL, qui Interdisait toute extension de ce côté, mais pouvait fournir en revanche la main-d'oeuvre saisonnière nécessaire, dut en être en bonne partie cause. Le propriétaire pourrait ainsi se dispenser d'avoir recours à des tenanciers, et faire valoir lui-même, aidé des membres de sa famille et de quelques valets de ferme, un domaine moins étendu, mais lui appartenant sans restriction.

Il n'est pas surprenant, dès lors, qu'au moyen âge ce propriétaire ait pris le nom même de sa terre. Il l'est davantage que la même famille se soit maintenue sur place jusqu'au début du siècle dernier. Peut-on remonter plus haut dans le passé, admettre que le premier de COSSANCES descendait directement du COTTIUS ou du COSSUS qui, plusieurs siècles plus tôt, avait donné son nom au domaine qu'il fondait ? Rien ne défend de le penser. Nous serions alors en présence d'un cas de survie d'une famille absolument exceptionnel.

Vers 1410, lors de la rédaction du Terrier d'Anne DAUPHINE, le propriétaire est VITAL de COSSANGES. C'est à lui qu'appartiennent tous les biens-fonds du terroir de COSSANGES que confrontent les terres des habitants, de BOSC-JAUFFREY.

En 1557, le descendant de ce Vital, dont le nom a suivi l'évolution de celui du domaine, Pierre de COUSSANGES, reconnaît devoir aux prêtres sociétaires de ST-BONNET une pension de 17 livres. Le fait, au premier abord, surprend. A la réflexion, une explication se présente à l'esprit. La magnifique croix de COSSANGES à double face sculptée restaurée par Louis BERNARD, porte le millésime de 1555. Le rapprochement des deux dates est significatif. Il n'est pas aventureux de penser que cette somme correspondait au prix ou au reliquat du prix de la croix, que son auteur ait été l'un des nombreux prêtres sociétaires de ST-BONNET ou qu'il ait travaillé pour le compte de la Société.

Au début du siècle suivant, nous trouvons à COSSANGES le fils ou le petit-fils de ce Pierre. Jean de COSSANGES, époux d'Anne MAREY de BRANDY-HAUT. Son fils Flory lui succéda. Il eut lui-même une nombreuse famille et laissa le domaine à son fils Georges né en 1619. A cette époque, une seconde maison avec ses dépendances existait à côté de la première. Construite sans doute, comme il arrive, pour un cadet, elle était passée, par voie de mariage, à une autre famille. Mais, en 1644, son propriétaire, Jean ODIER, à court d'argent, se décidait à en vendre une partie, ainsi que d'autres biens-fonds à Benoît de COSSANGES, maître charpentier à ST-PAL, puis il allait rejoindre à BOST-BUISSON son frère Flory. Ainsi l'emprise des de COSSANGES se refermait-elle sur COSSANGES.

C'est que le tronc vigoureux avait depuis un certain temps poussé des rameaux dans les environs : à BRA.NDY-BAS, à FRAISSE-BELVEZER, à PONT-RENARD, au BREYRE, à ST-PAL enfin. Tous ces de COSSANGES, dont la parenté transparaît dans les registres de baptême et les actes notariés, étaient par ailleurs alliés aux meilleures familles de ST-PAL, les CHASTELLE, les CHEYSSAC, les BOUCHET. Plusieurs d'entre eux sont même qualifiés de clercs, les clercs étant ceux qui avaient fait, sous la direction de prêtres de la paroisse, des études assez poussées, équivalant, sur certains points, au niveau de nos études secondaires.

La situation ne dut guère modifier à COSSANGES au cours du XVIIIème siècle. Cependant, à mesure que le rapport entre, le nom de famille, disséminé à travers la paroisse, et le nom du lieu devenait moins sensible, la tendance s'affirmait, pour ce nom comme pour d'autres, de supprimer la particule. Cette suppression devint définitive sous la Révolution, où il aurait été mal vu de la conserver.

Il y eut encore des COSSANGES à COSSANGES jusqu'au début du XIXème siècle. L'un des derniers connus est Vital COSSANGES, époux de Marie-Anne CHEVALIER, donné comme cultivateur à COSSANGES, le 12 Février 1805, lors de la naissance de son fils Jean.

Tout avait changé en 1841. Il n'existait plus dans toute la commune qu'une seule famille COSSANGES, fixée à PONT-RENARD, sur laquelle nous allons revenir. à COSSANGES même, si les deux grandes fermes du XVIIème siècle subsistaient encore, avec leurs vastes dépendances, elles étaient devenues la propriété d'un bourgeois de ST-PAL, Toussaint THEILEYRE, qui habitait, sur la place de l'église, l'actuelle maison DUPIN. A côté, sur le bord de la route, une petite maison appartenant à Claude DEPRAT, et derrière, un bâtiment rural appartenant à Barthélemy GOMET. Le recensement de 1886 signalait pareillement à COSSANGES 3 maisons et 12 habitants, ce qui lui valait le titre de hameau.

Cependant le vieil arbre tant de fois centenaire des COSSANGES se refusait à mourir. Un rameau transplanté à PONTRENARD allait survivre encore quelque 80 ans et avant de disparaître définitivement en 1922 jeter un dernier éclat.

Fils de Julien, décédé avant 1797 à COSSANGES, Michel COSSANGES s'était établi à PONT-RENARD en 1805, à la suite de son mariage avec Marie GAGNAIRE. Un fils, né le 3 Juillet 1806, reçut le nom de son grand-père, Julien, et épousa dans la suite Marie VEROT. De cette union naquit en 1843 celui qui serait irrévocablement le dernier du nom, Mobilisé en 1870 dans l'armée de METZ, dont il partagea les combats et la captivité, Jean Baptiste COSSANGES devint, presque dès son retour, garde champêtre et devait le rester jusqu à la fin de la guerre de 1914. De tout cet entre-deux-guerres demeure ainsi inséparable la figure énergique jusqu'à la rudesse de cet homme de devoir et d'équité, à qui le Conseil municipal, en le proposant pour les fonctions supplémentaires de garde forestier de BOS Grand, rendait déjà, dans sa session du 24 Mai 1875, un hommage mérité. Fasse le Ciel que pour assurer l'ordre public, dans le respect des droits de chacun, la municipalité de ST-PAL retrouve un jour un garde de cette trempe !

Site de Saint Pal de Chalencon (43500)
réalisé par Fabien PRORIOL
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